Mes impressions
La sortie de ce roman, écrit en 1991 par la romancière écossaise Elspeth Barker, est passée quasi inaperçue en France. Traduit pour la première fois en 2023, il a été publié directement en poche. Je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à récemment. L’unique roman de l’autrice, Le Champ des soupirs, semble puiser son inspiration dans sa propre vie. Tout comme son héroïne, Elspeth Barker a vécu dans un manoir écossais quelque part dans l’Aberdeenshire, transformé en une école pour garçons. Avec ses cheveux sombres et indisciplinés, elle pourrait même lui ressembler physiquement… Peut-on supposer que ce roman ait une résonance personnelle, et qu’Elspeth Barker ait prêté certains traits de son caractère à son héroïne ?
Le roman s’ouvre sur une scène de meurtre sanglant. Et même si le nom du coupable ne sera dévoilé qu’à la toute dernière page, l’histoire de Janet n’a rien d’une enquête. Dans un style oscillant entre descriptions évocatrices de la nature écossaise et passages ironiques saupoudrés d’humour noir, la vie courte et tragique de Janet est racontée dans les moindres détails.
Impossible de rester insensible aux injustices quotidiennes que Janet subit, de la part de sa famille comme des autres enfants de son âge. Son crime : ne pas rentrer dans les cases, ne pas correspondre à l’idéal de la jeune fille bien élevée, douce, sage et féminine. Janet est farouche, passionnée, maladroite. Elle préfère la poésie, le latin et le grec, ou encore la nature, aux bavardages futiles, aux sorties et aux distractions mondaines. Elle aime lire, rêvasser, gambader seule dans la campagne plutôt que de tenter vainement de se faire des amies. Même ses parents ont du mal à la comprendre et à l’accepter telle qu’elle est. Pour eux, leur fille aînée est une déception sans fin… Heureusement, ses sœurs, de parfaites jeunes filles comme il faut, sont là pour sauver les apparences.
D’une intelligence vive, dotée d’une grande sensibilité et d’une excellente mémoire, Janet ressent très tôt sa supériorité intellectuelle sur les autres. Mais cette prise de conscience la pousse à adopter une posture hautaine, qui ne fait qu’accentuer son isolement. Incomprise par les gens de son entourage, elle ne cherche guère non plus à les comprendre, préférant la compagnie des animaux.
« Elle reconnaissait en elle le dégoût des gens, à la fois physique et intellectuel, et, en même temps, elle nourrissait le désir secret et honteux d’être admirée, ou. du moins acceptée. Désir inassouvi. »
Une femme de son entourage semble pourtant tout aussi solitaire et marginale qu’elle : sa cousine Lila, « une femme étrange qui empeste le whisky », recluse dans une chambre isolée. Lorsque son père hérite du château d’Auchnasaugh, il ne peut le posséder qu’à condition que la cousine Lila puisse y demeurer. Dès lors, la mère de Janet la prend en grippe et ne pense qu’à la déloger à la première occasion… Janet ressent une certaine affinité avec cette femme solitaire que tout le monde rejette. Perdue, comme privée d’énergie vitale, elle semble vivre dans le passé, en noyant ses chagrins dans l’alcool ou les activités de botanique. Pourtant, aucune vraie complicité ne verra le jour entre elles. Par son insouciance et ses maladresses, Janet deviendra malgré elle le catalyseur de la chute de Lila…
Par son ambiance gothique et sauvage, son humour noir, son héroïne farouchement anticonformiste, et la connaissance dès les premières pages de son destin tragique, ce roman capte l’attention. Mais la narration se perd parfois dans une profusion de détails et de fragments de la vie de Janet, dont l’importance pour le récit principal reste floue. Au fil des pages, ces digressions créent une certaine lassitude et ralentissent la lecture. Le rôle joué par Janet dans le sort de Lila m’a aussi un peu refroidie à son sujet — même si l’on se doute bien qu’elle ne le fait guère exprès. En réalité, elle ne s’aperçoit de rien, trop captivée par son monde intérieur, et portant peu d’intérêt aux gens qui l’entourent.
« Auchnasaugh était pour elle un lieu délicieux, d’une beauté absolue, tout ce dont son âme s’était toujours languie. <…> Elle n’avait pas peur de ses pièces hautes de plafond et sombres, de ses passages de pierre mal éclairés, de ses tours et tourterelles, de ses chambres souterraines humides, aux murs dégoulinants de moisissure, paradis des rats. »
En quelques mots…
Je sors donc de cette lecture avec un sentiment un peu amer et en demi-teinte de ne pas avoir réussi à l’apprécier à sa juste valeur. Je lui reconnais sa beauté, son ambiance gothique très évocatrice, immersive et enveloppante. Il m’a transportée dans le nord de l’Écosse que j’aime tant, à l’intérieur d’un château délabré mais majestueux. Mais je dois avouer que j’ai ressenti, à certains moments, une petite piqûre d’ennui… en jetant un œil au nombre de pages restantes. Le texte me semblait s’étirer inutilement, alors qu’il ne dépasse même pas les trois cents pages.
Je le conseillerais malgré tout à tous les amateurs de romans gothiques, d’héroïnes anticonformistes qui vivent à contre-courant des normes imposées aux femmes — et, peut-être aussi, à ceux et celles qui rêvent un jour de se retrouver dans un château ancien, isolé quelque part en Écosse, par une nuit sans lune…
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